Pierre Bartholomée (1937)

 

Oedipe sur la route - Bartholomée

par Anne Genette

Opéra en quatre actes
Livret de Henry Bauchau d'après son roman
Création mondiale : Bruxelles, La Monnaie, le vendredi 7 mars 2003

Travers-sons >> Opéra >> Œdipe sur la route

Pierre Bartholomée, répondant à une commande du Théâtre de la Monnaie s’est lancé dans la composition d’un opéra : Œdipe sur la route. Cet opéra en quatre actes sur un livret d’Henry Bauchau sera créé le 7 mars 2003 au Théâtre de la Monnaie qui verra ainsi se concrétiser une deuxième création mondiale dans la même saison.

Pierre Bartholomée

La genèse d’une œuvre passe par tout un réseau d’influences, d’expériences, de rencontres, de révélations qui, au cours d’un espace de vie façonnent un langage et donne à l’homme-créateur sa pleine originalité. L’œuvre devient ainsi le miroir de celui qui l’a créée. Mais le reflet fait plus que renvoyer à son créateur, il diffuse son contenu et révèle, dévoile la pensée au travers de ce qui est donné, ici, à entendre.

Au-delà des éléments biographiques, nous avons tenté de percevoir au travers de quelques pièces extraites du catalogue de Pierre Bartholomée, ce qui a pu être générateur d’impressions pour lui et constituer ainsi, non pas le moteur d’une création mais plutôt son carburant.

Pierre Bartholomée , après des études au Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles, choisit de renoncer à une carrière de pianiste virtuose pour se tourner vers la composition. Engagé au service de la sonorisation à la Télévision, il s’initie à la manipulation de l’appareillage électronique et fournit des partitions pour des films documentaires et publicitaires. Cette rude école était riche d’enseignements et présentant l’avantage de faire sortir le jeune musicien de son environnement musical classique, l’ouvrant à la nouveauté, lui présentant un autre regard sur le monde sonore.

Le hasard des rencontres fait bien son travail : par l’intermédiaire des frères Kuijken et de Robert Kohnen, Pierre Bartholomée est présenté à Henri Pousseur, alors à la recherche d’un ensemble instrumental capable d’interpréter sa composition Repons (1962). Au travers de la musique ancienne, univers déjà familier à Pierre Bartholomée via notamment l’œuvre d’André Souris, voici donc l’entrée dans le monde de la musique « moderne », cette musique qui désormais fera partie des choix prioritaires de l’interprète et du chef d’orchestre. Aux commandes de l’Ensemble Musique Nouvelle, il se fixe comme objectif la création et la diffusion de la musique de son temps. Son poste de directeur artistique et chef permanent de l’orchestre Philharmonique de Liège de 1977 à 1999 a contribué à attirer l’attention du public sur des œuvres moins fréquentées comme les symphonies de Charles Tournemire (ET6816 - ET6818 - ET6819) ou les œuvres symphoniques d’Adolphe Biarent (EB6754 - EB6755) pour ne citer que quelques exemples.

Cette démarche qui consiste à être à la fois au cœur de la matière sonore en tant que compositeur et à la tête d’une masse sonore en tant que chef d’orchestre a un effet d’aller retour qui enrichit les deux pôles simultanément. Le chef d’orchestre lit les grandes œuvres du répertoire avec un regard de compositeur, distinguant les ingrédients de base d’une symphonie et recréant l’esprit de l’œuvre comme s’il en était l’auteur tandis que le compositeur profite de l’expérience du praticien de l’orchestre par une connaissance approfondie des instruments et de leurs ressources.

Cette recherche des timbres orchestraux est un élément très important dans la musique de Pierre Bartholomée. La présence de la harpe dans de nombreuses pièces est aussi le fruit d’une rencontre : l’épouse du compositeur, Francette Bartholomée est une virtuose de cet instrument. Ce choix instrumental est suffisamment rare dans le paysage contemporain pour attirer l’attention et générer une musique aux coloris bien caractéristiques.

 



Pierre Bartholomée - Photo © Johan Jacobs


Les œuvres (liste non exhaustive) :

3 Nocturnes pour harpe harmonique (1960)
Cantate aux alentours (1966)
Tombeau de Marin Marais pour deux violes de gambe et clavecin (1967)
Catalogue pour quatuor de harpes (dédié à Mireille Flour))
Harmonique pour grand orchestre (1970)
Mémoire pour piano (1972)
Romance (1973)
Pastorale, version pour harpe diatonique, version pour harpe chromatique (1980)
Mezza voce pour piano, violon, clarinette et percussions (1980)
Fancy I pour harpe diatonique (1981)
Fancy as a ground pour ensemble instrumental avec harpe (1981)
Trois pôles entrelacés pour harpe et petit ensemble (1985)
Brasier de neige pour mezzo-soprano et quatuor à cordes (1986)
Point nocturne cycle de mélodies (1986-1993)
Adieu pour clarinette et piano (1988)
Rumeur pour orchestre (1989)
Accent pour voix et piano (1992
Humoresque pour orchestre (1994))
Fin de série duos pour violons (1995)
Fredons et tarabusts sérénade pour grand orchestre (1997)
Refrains pour violon et trombone (1998)
Variations pour piano (1999)
Et j’ai vu l’âme sur un fil…elle dansait , pour flûte, alto et harpe (2000)
Le Rêve de Diotime pour ensemble instrumental (2000)

Quelques propos musicaux…

Mezza Voce (FB5531) met en présence quatre musiciens : un violoniste, un clarinettiste, un pianiste et un percussionniste. La pièce, découpée en sept parties porte bien son nom. A mi-voix, le ton qui convient à un moment d’intimité, celui de la fusion entre le violon et la clarinette par exemple, Pierre Bartholomée suggère un récit dont il garde le secret. Le climax de la pièce est atteint lors de l’étonnant duo dans lequel le piano semble fuir éperdument devant les ponctuations violentes de la percussion. Le choix de registres instrumentaux très restreints et de contraintes qui structurent plutôt qu’elles n’enferment, crée toute l’atmosphère.

Fancy as a ground (FB2458) a une histoire. Issue de Fancy pour harpe solo, suivie d’une deuxième version pour harpe et petit ensemble instrumental, elle-même suivie par Sonata quasi una fantasia pour le même type de formation, Fancy as a ground est basée sur le principe de la variation. Le son sort du silence tel un diable hors d’une boîte, tissant des contrepoints rythmiques aux vitesses différentes. Le thème caractéristique possède un parfum néoclassique propice aux jeux de timbres. La succession des variations aboutit à une progression vertigineuse en valeurs courtes.

Trois pôles entrelacés (FB2458) fait appel à un matériau très réduit donnant ainsi une forte cohésion aux 5 parties successives. Les titres de ces parties font référence aux formes polyphoniques pratiquées dès l’aube de l’époque baroque : toccata, ricercare, canzone et doubles. Chaque instrument est mis tour à tour en avant, d’abord la harpe énonçant un thème aux contours très caractéristiques ensuite l’alto. Dans le ricercare, un thème rêveur semble sortir progressivement de la brume faisant passer l’alto du premier au second plan. Les solos instrumentaux se font de plus en plus virtuoses sous l’effet des diminutions de valeurs des notes propres aux doubles. La forme semble se refermer sur elle- même, ramenant à la fin la toccata du début.

Harmonique (FB2458) met en avant, comme son nom l’indique, l’art d’agencer des agrégats sonores amenant ainsi tout un jeu de couleurs orchestrales. Ce sont les intervalles mélodiques qui structurent l’harmonie, démarche originale que Pierre Bartholomée explorera dans d’autres pièces pour orchestre.

Fredons et Tarabusts (FB2460) déploie son univers onirique et nocturne sur sept mouvements, dans une ambiance sonore très homogène due à un matériau de base restreint. Chaque partie s’appuie sur un intervalle mélodique caractéristique, une sixte mineure descendante pour la première partie, et sur le phénomène de mémorisation de ces intervalles. Des notes polaires provoquent la cristallisation de ces cellules mélodiques confiées à un instrument privilégié. Toute l’harmonie est issue de ces intervalles. L’ensemble de la pièce progresse lentement d’une orchestration de détail, très coloriste, à un travail sur la masse instrumentale.

Humoresque (FB2460) fait appel à la même technique de construction sur un intervalle générateur. Ce qui est exploré ici est la relation qu’entretient ce matériau volontairement restreint avec les autres éléments du monde sonore, aussi bien les hauteurs que les timbres. L’oreille y cherche malgré elle des repères de tonalité, le compositeur frôle ces repos et égare son auditoire dans un dédale où la détente de la consonance semble échapper à celui qui la désire, sans cesse insaisissable et tellement attendue, en vain.

Fin de série (FB2528) est l’adieu du compositeur à la technique sérielle telle qu’il l’a pratiquée au début de sa carrière. L’art de la variation d’un matériau volontairement restreint démontre ici la fécondité de la contrainte librement consentie. Fin de série déploie autour d’un canon central, sept duos pour violons se mirant chacun dans une des faces de ce canon prismatique. Le premier duo est une reprise du dernier, le second est la réplique de l’avant dernier et ainsi de suite. Pierre Bartholomée sculpte le temps au gré de ces miniatures aussi elliptiques que des poèmes japonais. La répétition engage l’auditeur dans un jeu de comparaison dans lequel la mémoire auditive est sollicitée. Les fluctuations du contexte font hésiter, le cerveau pallie au manque en reconstituant ce qu’il a enregistré. Ce qui permet au compositeur de suggérer une similitude là où intervient la différence.

Le Point nocturne (FB2528) met en musique des textes de Serge Meurant. Dans Anneau dérisoire qui fait office de prélude instrumental, les lignes mélodiques autonomes se rejoignent sur des agrégats pour mieux se séparer dans un fourmillement sonore et repartir à la recherche d’un nouveau consensus. La voix vient alors chanter le ciel sur le tissu sonore du quatuor à cordes aux accents bien schubertiens, simple rémanence qui conduit vers l’éther dans une tessiture aiguë. Brasier des neiges est le pôle central de l’ensemble dans lequel la voix, se promenant aux confins de sa tessiture, oppose son legato et ses sauts s’approchant de la technique du yodel aux sonorités plus âpres et plus percussives des cordes jouant "sul ponticello". L’ambiance sombre fait mieux apprécier la rondeur des sons tenus qui succèdent à ce moment. Comme la vague ramène l’atmosphère de A contre flot avec une formule thématique en pizzicati tandis que Jubilation confronte la ligne vocale soutenue avec des gestes instrumentaux dynamiques mais fragmentés. Un postlude instrumental vient clore l’œuvre lui assurant ainsi une structure symétrique. Texte et musique présentent la même concentration du matériau initial offrant ainsi une puissance de cohésion à l’ensemble de la pièce.

Refrains (FB2528) décline subtilement les couleurs instrumentales du violon et du trombone. Tour à tour réunis à forces égales ou mélangés pour créer une nuance inouïe, les deux instruments explorent les ressources tantôt de l’un, les pizzicati du violon, tantôt de l’autre, les glissandi du trombone, pour se retrouver dans un final faisant entendre une mélodie de timbres équitablement partagée.

…Et j’ai vu l’âme sur un fil…elle dansait (FB2528) emprunte sa forme à un fragment d’un poème de Henri Bauchau. Chaque partie engendre la suivante dans un mouvement soumettant le temps à une élongation. Un thème en arpège brisé ascendant cerne le contexte harmonique de départ, personnifiant le membre de phrase et j’ai vu. Sur un fil se construit sur le mode obsessionnel d’une conversation à trois faisant appel à une figure rythmique aux notes répétées qui tournera à l’ostinato dans elle dansait. Sur un flux induit par l’alto et la harpe, la flûte se démarque par un rythme qui vient structurer les reprises dans cette partie au caractère dansant. A la reprise du texte, le thème en arpège ralentit au point de devenir difficilement reconnaissable, languissant même. C’est par la danse et son flux continu rythmé par la flûte que se termine cette pièce à l’ambiance toute particulière.

Impressionné par l’écriture d’Henri Bauchau, Pierre Bartholomée s’était mis à l’épreuve en écrivant une pièce pour soprano et dix-sept instruments tirée d’un récit intitulé Diotime et les lions. Cette pièce, qui fut créée à l’occasion de l’inauguration des nouveaux ateliers de la Monnaie en janvier 2000 sous le titre Le Rêve de Diotime met en scène la prophétesse et guérisseuse qui joue un rôle essentiel dans Œdipe sur la route ainsi qu’un élément déterminant dans le cheminement du héros de l’œuvre : la vague.

La discographie de Pierre Bartholomée

 

Henry Bauchau

Quelques mots à propos d’Henry Bauchau ne me semblent pas superflus en regard de la richesse et de la complexité de la pensée de ce poète, romancier, nouvelliste, auteur dramatique et psychanalyste.

Né en 1913 à Malines, il étudie le droit à Bruxelles puis à Louvain. La littérature l’intéresse certes, mais l’action concrète est à ce moment un moteur de sa vie. Son engagement dans l’Armée Secrète pendant le second conflit mondial et son investissement professionnel par la suite témoignent de cette volonté. En 1947, il entame une psychanalyse avec Blanche Reverchon-Jouve, épouse du poète et romancier Pierre Jean Jouve. C’est un univers neuf qui lui ouvre ses portes et bouleverse profondément sa vie. « Désormais, il y aura un avant et un après ».

Établi en Suisse où il fonde un établissement d’enseignement pour jeunes filles, il commence à écrire des poèmes. Se succèdent un recueil de poèmes : Géologie, une pièce de théâtre : Gengis Khan, un roman : La Déchirure et à nouveau des poèmes : L’Escalier bleu.

Entre 1965 et 1968, Henry Bauchau entreprend une psychanalyse didactique chez Conrad Stein. Il publie La Machination, pièce de théâtre montrant déjà son attirance pour le monde antique grec. Ses centres d’intérêt sont étonnamment variés : la guerre de sécession (Le Régiment noir ), la Chine (Essai sur la vie de Mao-Zedong et La Chine intérieure ) et bien sûr la psychanalyse (La Sourde oreille ). Entre les nombreux articles qui lui sont demandés, les conférences qu’il donne, Henry Bauchau se sent « appelé » par le personnage d’Œdipe, mythe fondateur de la psychanalyse.

S’engouffrant dans l’espace laissé béant par Sophocle entre Œdipe-roi et Œdipe à Colone, Henry Bauchau imagine le chemin de vie de ce roi déchu et aveuglé, tourmenté par son impensable destin et cet homme arrivé au crépuscule de sa vie, à l’image de Sophocle lui-même, prêt à s’ouvrir à la Sagesse.

Cette route qui mène de la violence de Thèbes à l’apothéose dans un faubourg d’Athènes, adopte de multiples détours, prétextes à des histoires parallèles, celles des personnages rencontrés, le bandit Clios, la prophétesse Diotime, Calliope qui fait renaître Œdipe et surtout Antigone, la fille et la sœur. Placé sous le signe du lien, celui du sang entre Antigone et Œdipe, celui des images lorsqu’il est question de cette immense vague hautement symbolique, celui du langage qui unit l’univers intérieur de l’être au monde extérieur en lui donnant une apparence, ce roman, par son côté épuré, laisse au lecteur tout loisir d’établir ses propres correspondances, ses propres associations. Tout homme vivant est sur la route …

Henri Bauchau dans les collections de La Médiathèque.

Dans la collection littérature :

Dans la collection vidéo documentaire :

 



Répétition d'Œdipe sur la route - Photo © Johan Jacobs

Œdipe sur la route : distribution

Œdipe, baryton-basse
Antigone, soprano
Clios, ténor
Diotime, mezzo
Calliope, alto
Illyssa, soprano
Un Vigneron, ténor
Etéocle, ténor
Le Messager, ténor
Polynice Jean, baryton
Le Chef du village, basse
Thésée, ténor

Œdipe sur la route : synopsis


Premier acte.
Le temps a permis aux blessures d’Œdipe de se cicatriser. Il décide de quitter Thèbes, laissant derrière lui son lourd passé. Sa fille Antigone décide de l’accompagner sur une route qui promet d’être dangereuse pour l’aveugle et la jeune fille. Leur première rencontre est celle du bandit Clios qui profite d’une halte au bord d’une rivière pour agresser Antigone. Œdipe lutte avec lui, le vainc mais épargne sa vie et lui propose de se joindre à eux. Clios raconte son histoire, révélant les raisons qui ont fait de lui un hors la loi après le meurtre de son meilleur ami et la disparition de son clan.

Deuxième acte.
Arrivé au bord d’un cap, Œdipe décide de sculpter dans la falaise une vague déferlante. Ce projet grandiose exorcise ses démons intérieurs par la lutte qu’il lui impose. Antigone et Clios ne peuvent le suivre jusqu’à l’aboutissement de cet exploit, ils sont terrassés par la peur.

Troisième acte.
Après avoir repris la route, le trio arrive chez Diotime, la guérisseuse. Cette figure maternelle permettra les confidences d’Œdipe lui révélant des dimensions de son être qu’il ne soupçonnait pas ou avait oubliées. Sa voix chantant son histoire exalte l’esprit des pestiférés. Atteint lui-même par la maladie, Œdipe se redevable de sa guérison à la jeune Calliope, envoyée par Diotime qui lui insufflera sa force vitale et le régénèrera. C’est à ce point que Clios décide de suivre son propre chemin, laissant Antigone et Œdipe sur leur route.

Quatrième acte.
Un homme inconnu vu en rêve indique à Œdipe la route menant à Colone qui semble être le but de ce voyage. Près du bois sacré, Clios, Ismène, seconde fille d’Œdipe, Calliope et Diotime attendent les voyageurs. Œdipe pénètre dans le bois sacré et en ressort, transfiguré. Clios a peint une immense fresque représentant une route cheminant à perte de vue. Œdipe s’y engage et disparaît à l’horizon, là où le ciel rencontre la terre dans la lumière du soleil. Il est à nouveau sur la route.

Un art subtil de la variation.

Œdipe écoute. Il entend la mer, il perçoit quelque chose du monde et des êtres. S’arrachant au chaos de l’enfermement en lui-même, il revendique le droit à la liberté, celle d’être parmi les autres. C’est en se dépouillant de tout qu’il devient clairvoyant. Telle une musique, sa route le conduit des ténèbres vers la lumière.
(BARTHOLOMEE, Pierre, Pourquoi ? Comment ?, programme de La Monnaie, Bruxelles, 2003).


Une lente progression parcourt l’œuvre, un cheminement imperceptible mais ininterrompu vers un but qui ne se dévoilera que dans les derniers instants. Ce qui importe, c’est un présent toujours renouvelé fait d’une succession d’instants.
Texte, mise en scène, musique, décors s’inscrivent dans une horizontalité modulée par d’infimes variations et dont la prise de conscience, après coup, est comparable à un regard jeté en arrière sur le chemin parcouru.

Adapté aux proportions d’un opéra, le livret a laissé sur le bord du chemin tous les récits venant se greffer sur le tronc principal, à l’exception de celui de Clios. Ce dépouillement volontaire est à l’image du héros découvrant peu à peu les ressources intérieures qui constituent sa vraie richesse.

La musique fait appel à un orchestre étoffé, aux sonorités puissantes qui accompagne le récit chanté. Les lignes mélodiques sont brisées par des sauts mettant en valeur la musique des mots. La succession d’instants, la verticalité, construit la progression qui part d’une densité chaotique du son dans le premier acte pour aboutir, au quatrième, à une clarté pleine de nuances . La grande forme en quatre actes, enchaînés deux à deux par un interlude instrumental, dissimule un rapport de proportions comparable à celui d’une symphonie. Au fil du déroulement dramatique, les lignes vocales font apparaître des courbes et une plus grande conjonction des degrés. Les tensions du début se résolvent dans un accord final hésitant encore entre ombre et lumière.

Décors et éclairages suivent le même principe évolutif, suggérant l’essentiel.
L’espace scénique est sculpté par des éclairages subtils déclinant le spectre chromatique de l’anthracite à l’écarlate. Au milieu de nuances de gris ou de terres, les costumes, se voulant sans référence temporelle, procèdent du même passage de l’obscure au clair. Chaque personnage porte sa couleur : bleu pour Antigone, rouge pour Diotime. Les accessoires sont rares mais n’en font que plus d’effet comme les palmes dans le troisième acte ou les bâtons d’aveugle porteurs de feu dans l’acte final.

Le plateau décline les reliefs dont le plus spectaculaire est bien celui de la vague, au deuxième acte, qui émerge littéralement du plancher. Le sol est tour à tour creusé (le puit ou l’abîme de la falaise) ou au contraire, se tend vers le ciel (la courbe du chemin ou la vague). On garde à l’esprit qu’il s’agit bien des transformations d’un même matériau, d’un même plan horizontal se faisant passage entre le monde aérien et le monde souterrain, médiateur entre ce qui est proclamé à voix haute et ce qui est enfouit dans les tréfonds de l’inconscient des personnages.


Travers-sons >> Opéra >> Œdipe sur la route

© 2003 - La Médiathèque