Conclusion

 
Clara Wieck-Schumann - DS4372

 

 

 

 

En guise de conclusions, j'aimerais faire part de quelques considérations générales à partir de la table chrono-ethnique, parler de la politique éditoriale en rapport avec la création féminine et enfin, présenter les points communs qui rapprochent ces musiciennes.

Ce tableau, synthétique, est significatif par les "trous" et les "manques" qu'il révèle. On constate, par exemple, que sur les 32 pays cités, sont absents le Moyen et le Proche-Orient, l'Asie du Sud-Est, l'Afrique du Nord, l'Afrique Noire... On remarque que sur ces mêmes 32 pays, 25 ne mentionnent de compositrice qu'à partir du XIXe siècle et/ou du XXe siècle. Or, s'il est vrai que la création de certains états intervient historiquement à une date récente (Tchécoslovaquie, Israël, pays issus de la décolonisation, etc.) Il n'est toutefois guère probable qu'aucune femme n'ait composé de musique en Chine, aux Indes, au Japon avant le XXe siècle, et qu'il n'y en ait eu aucune non plus en Grèce ou en Égypte entre l'Antiquité et nos jours.

En fait, plus on s'éloigne dans l'espace et dans le temps du "centre" de "la" civilisation occidentale, plus on se heurte au problème de l'absence de documents écrits. Aussi, la trace des compositrices est-elle particulièrement difficile à suivre dans les civilisations du passé, chez les peuples de culture de tradition orale et dans les pays extra-européens. Mais dans les pays occidentaux aussi, la documentation compulsée à ce sujet fait allusion à la dispersion et à la rareté des sources, aux hésitations sur les identités (pseudonymes, noms de famille non mentionnés de peur de la réprobation), aux confusions d'attribution (édition sous le nom d'un conjoint ou autre), aux difficultés de datation. Ce qui explique certains trous noirs.

Absences qui se vérifient dans les collections pourtant riches de la médiathèque. Ce mémoire tente d'en apporter la preuve. Le tableau signale des compositrices en Europe à partir du XIe siècle, uniquement en Allemagne. Ensuite, vient un trou noir entre la seconde moitié du XIIIe siècle et le XIVe siècle. La période située entre les XVIe et XVIIIe siècles ne fait mention que d'un petit nombre de compositrices.

Force est de constater qu'aucun pays ne présente de compositrices pour chaque siècle. Par exemple, on ne découvre aucun nom en Grande-Bretagne avant le XVIe, aucun en Belgique avant le XVe et aux XVIIe et XVIIIe, aucun en Italie avant le XVIe siècle à partir duquel, avec l'Autriche, elle est bien représentée jusqu'au XIXe, ni en Allemagne entre les XIe et XVIIIe siècles. La France compte des compositrices pour chaque siècle à dater du XIIe siècle, sauf pour les XIVe, XVe et XVIe siècles.

En d'autres termes, la présence de femmes là ou ailleurs, illustre divers grands courants innovateurs de l'histoire de la musique : de la naissance et de l'engouement pour l'opéra en Italie aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles avec l'apparition de nombreux foyers artistiques dans ses grandes villes en passant par l'âge d'or du Romantisme en Allemagne et en Pologne et le déplacement de l'événement artistique des cours princières aux salons bourgeois jusqu'aux laboratoires de recherche contemporaine en musique électroacoustique.

À la lumière de ce travail, il est possible de faire part d'une constante au niveau de la production des oeuvres féminines et de l'intérêt que leur accordent les éditeurs de disques. Dans un monde où la distribution des marques de disques change constamment, il apparaît tout de même statistiquement que les compositrices sont le plus souvent distribuées par de petits éditeurs. La musique classique constitue, au départ, un secteur peu exploité par les grandes multinationales de disques, on ne peut donc s'étonner du peu d'attention qu'elles semblent accorder aux femmes. On constate l'absence quasi totale d'EMI et la présence très clairsemée de Philips et de Deutsche Grammophon.

Il semblerait que les petites marques, impuissantes à concurrencer les multinationales, s'aventurent peu sur le terrain des grandes oeuvres composées par les grands noms de la musique, à l'exemple des symphonies de Beethoven,... Par contre, elles se lancent plus volontiers dans un tout autre créneau, celui de la promotion d'oeuvres "marginales", non pas au sens péjoratif du terme. Elles visent à proposer un répertoire différent et essayent par là d'atteindre un autre public.

À ce niveau, la Médiathèque joue un rôle culturel capital. Elle présente l'avantage d'acquérir des oeuvres tous azimuts et de conserver et proposer des disques intéressants ou introuvables dans le commerce. Soit qu'ils aient une valeur d'archives soit qu'ils présentent un intérêt au point de vue musicologique. On y trouve, par exemple, l'oeuvre complète de Jacqueline Fontyn qui ne figure pas au rang des succès commerciaux mais qui sort des sentiers battus.

Le fait que les petites marques de disques, s'intéressent aux compositrices, à l'image de CPO qui a proposé dans son catalogue notamment de nombreux lieder de Fanny Mendelssohn ou comme une marque nationale qui va favoriser une production nationale, ne signifie pas pour autant qu'elles tombent dans un féminisme facile. Mais, elles prennent le risque d'éditer l'oeuvre d'un nouveau compositeur, ou d'un artiste moins connu, susceptible de percer sur le marché, qu'il soit homme ou femme.

Là où le choix des éditeurs repose sur des impératifs économiques, l'interprète effectue une démarche plus intellectuelle. Proposant un répertoire, il joue un rôle capital dans la mise en valeur de tel ou tel compositeur. De nombreux enregistrements ne doivent leur succès qu'à l'interprétation. De ce fait, on constate actuellement dans l'ensemble du monde éditorial (mais aussi dans les programmes de concert de musique contemporaine où sur cinq compositeurs annoncés, il y aura bien une femme), une tendance à les placer en avant.

À la même enseigne que Gyorgy Ligeti, les oeuvres de Sofia Goubaïdulina ou celles de Kaija Saariaho, sont interprétées en concert par des artistes de premier plan.

Progressivement, les compositrices vont se retrouver sur les grandes marques. Ainsi, Sofia Goubaïdulina interprétée par Guidon Kremer, figure en bonne place dans le catalogue de la firme Deutsche Grammophon.

Le point de convergence qui relie toutes ces femmes entre elles, reste évidemment le milieu musical dans lequel elles sont nées. À une ou deux exceptions près, elles ont toutes été initiées à la musique par un père ou une mère, le plus souvent professeurs de musique. Ou encore, ont-elles grandi dans un milieu favorable à la présence de grands musiciens : les cours, les institutions religieuses pour jeunes filles, les salons, les cercles privés. Cette opportunité a valu pour certaines de se découvrir un talent pour la composition, de prendre des cours, parfois malgré la réprobation familiale ou sociale, de recevoir des conseils, des avis sur leur création ou encore espérer la promotion de leurs oeuvres en public.

Pratiquement toutes passent pour des virtuoses, en général du piano. Elles se lancent souvent dans la composition souvent en autodidactes alors qu' elles n'ont pas accès pour diverses raisons à l'enseignement ou qu'elles se décident à consigner les pièces qu'elles ont improvisées.

Toutes connaissent une notoriété mondiale grâce au fait qu'elles peuvent faire valoir l'enseignement reçu de grands maîtres, en raison des titres et diplômes obtenus dans les conservatoires ou universités réputées, au travers de leurs oeuvres primées dans des concours internationaux, par le fait des nombreuses bourses et subsides qu'elles sont parvenues à décrocher. Il faut ajouter à cela que leurs oeuvres sont éditées, jouées, diffusées dans le monde entier.

Contrairement à l'idée reçue, elles se sont lancées dans la création de grandes formes que ce soit l'opéra, la messe, la comédie musicale ou l'oeuvre pour orchestre et ce, à toutes les époques.

Enfin, elles sont réputées dans le monde de la musique non seulement comme compositrices, mais comme interprètes (présentes dans le répertoire), chefs d'orchestres, professeurs, éditrices de revues musicales ou de disques, journalistes, présidentes d'associations, organisatrices de festivals, de congrès...

Un dernier mot pour signaler, ô suprême bonheur, qu'une femme surgie du fond du Moyen Âge, Hildegard von Bingen, cartonne au hit-parade des disques les plus empruntés à la Médiathèque avec quatre titres. Ses visions extatiques rejoignent la tendance de cette décennie pour une musique à caractère mystique qui inonde le marché dans tous les sens.

Voilà, j'espère que vous aurez pris du plaisir à lire ce dossier autant que moi à préparer le sujet, à naviguer dans l'histoire de notre civilisation et à découvrir des richesses insoupçonnées de la création musicale.

Pascale François


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